Bêtes, Hommes et Dieux
A travers la Mongolie interdite, 1920-1921
Ferdynand Ossendowski, Phébus
A travers la Mongolie interdite, 1920-1921
Ferdynand Ossendowski, Phébus
Krasnoïarsk (Sibérie centrale), hiver 1920. Un homme vient d’apprendre qu’il vient d’être dénoncé aux « Rouges »et que le peloton d’exécution l’attend. Il prend son fusil, fourre quelques cartouches dans la poche de sa pelisse, sort dans le froid glacial - et gagne la forêt.
Commence alors une course poursuite dont il ne sortira vivant, il le sait, que s’il ose l’impossible : gagner à pied les Indes anglaises en traversant l’immensité sibérienne, puis les passes de Mongolie, le désert de Gobi, le plateau tibétain, l’Himalaya…
Cet ouvrage est un livre-culte de la littérature d’aventure vécue. Véritablement palpitant, les chevaux y sont omniprésents, à l’image de ces quelques lignes auxquelles je ne peux résister : « Alors commença la plus terrible nuit de notre voyage. Nous suggérâmes au colon de n’embarquer que notre nourriture et nos munitions : nous passerions à la nage avec nos chevaux, pour éviter de faire plusieurs voyages. La largeur de l’Ienisséï à cet endroit est d’environ trois cents mètres. Le courant est extrêmement rapide et la rive plonge à pic. La nuit était absolument noire, sans une étoile au ciel. Le vent sifflait en rafales, la neige nous fouettait violemment le visage. Le fleuve se déroulait devant nous, tel un tourbillon d’eau noire, entraînant dans ses remous de minces plaques de glace coupante. Longtemps mon cheval refusa de descendre la rive abrupte, s’ébrouant et se raidissant. De toute ma force je dus lui fouetter l’encolure pour qu’il se jette, avec un gémissement pitoyable, dans le fleuve glacé. Nous nous immergeâmes à moitié tous les deux et j’eus grand’peine à me tenir en selle. Nous fîmes quelques mètres en nous éloignant du rivage ; la bête tendait désespérément son col pour avancer, soufflant bruyamment. Je sentais chaque mouvement de ses jambes battant l’eau, chaque contraction de ses muscles dans l’effort. Nous parvînmes enfin au milieu de la rivière, à l’endroit où le courant était le plus rapide et risquait de nous entraîner. Dans la nuit lugubre résonnaient les cris de mes compagnons et les sourds gémissements que la terreur et la souffrance arrachaient aux chevaux. L’eau glacée formait un étau autour de ma poitrine. J’étais griffé par les glaçons, giflé par les vagues qui venaient me frapper au visage. Je ne voyais plus rien, je ne sentais même plus le froid. Seul m’animait désormais l’instinct de conservation ; je ne pensais plus qu’à une chose : que mon cheval faiblisse dans sa lutte et j’étais perdu ! Concentré sur ma bête pour la soutenir dans ses efforts, je l’entendis brutalement gémir et la sentis qui coulait. L’eau qui rentrait dans les naseaux l’empêchait de s’ébrouer et sa tête venait de heurter un gros glaçon. Nous nous mîmes à dériver. Je tentais à grand’peine, m’y reprenant à plusieurs fois, de diriger de nouveau sa course vers le rivage, mais j’avais beau tirer sur les rênes comme un forcené, ses dernières forces semblaient l’avoir abandonnée ; sa tête disparaissait de plus en plus souvent sous les remous. Je n’avais pas le choix : je me laissais rapidement glisser de la selle et, m’y accrochant de la main gauche, je me mis à nager en m’aidant de mon autre main, entraînant ma monture et l’encourageant de la voix. Un moment elle flotta, les lèvres entrouvertes, les dents serrées. Dans ses yeux largement ouverts se lisait une indescriptible terreur. Mais délestée de mon poids, elle parvint à remonter à la surface et se mit à nager à son tour, plus calmement et plus rapidement. Enfin ses fers heurtaient les rochers. Les uns après les autres, mes compagnons abordaient le rivage. Les chevaux bien dressés avaient fait passer leurs cavaliers.”
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